ROGATIONS.

Définition du Petit Larousse : Procession de supplication instituée au Ve siècle, qui se déroule le jour de la Saint Marc et les trois jours précédant l'Ascension, destinée à attirer la bénédiction divine sur les récoltes et les animaux.

 

Dictionnaire du Culte Catholique ou Recherches sur l'institution des Fêtes, l'origine des Ornements sacerdotaux, leur forme primitive, l'Ameublement des églises, les Usages ecclésiastiques, etc., etc., -  Par l'Abbé J.-E. Degorde, Curé de Bures-en-Bray - 1859.
(Extrait des pages 290 et 291)

 

Les trois féries qui précèdent l'Ascension sont ainsi appelées, à cause des prières, Rogationes, qui ont lieu pendant les processions, auxquelles on chante les litanies. En 511, le concile d'Orléans ordonna que les processions des Rogations eussent lieu dans toute la France. Rome ne les adopta qu'à la fin du VIIIe siècle. Dans le principe, ces trois jours étaient chômés et l'on y jeûnait; plus tard, l'on imposa seulement l'obligation d'assister à la procession et à la messe de la station , et le jeûne fut remplacé par l'abstinence ; aujourd'hui, l'abstinence est encore observée. Quant au rit de l'office, il varie beaucoup selon les diocèses. Guillaume Durand dit qu'au XIIIe siècle on portait en tête de la procession, le lundi et le mardi des Rogations, un dragon dont la queue était longue et enflée ; le mercredi, il suivait la procession, la queue basse et déprimée. L'évêque de Mende ajoute que ce dragon symbolique signifiait le diable qui a régné en souverain sous la loi naturelle et sous la loi de Moïse, mais qui a été vaincu sous la loi de grâce. Au siècle dernier, on portait encore des serpents ou dragons aux processions, dans plusieurs diocèses ; quoiqu'on assigne diverses origines à ces usages, nous sommes porté à y voir une origine commune : le démon vaincu par la croix. A Rouen, le dragon qu'on portait à la procession était appelé gargouille ; c'était, dit-on, un souvenir du monstre qui dévasta autrefois la ville et fut vaincu par saint Romain.

 

Origines et raison de la liturgie catholique en forme de dictionnaire -  Par l'Abbé J.-B.-E. Pascal, Ancien Curé au diocèse de Mende - 1844.
(Extrait des pages de 1105 à 1107)

 

I.

Les trois féries qui précèdent l'Ascension sont ainsi nommées à causes des prières, Rogationes, qui se font solennellement à la Procession des ces trois jours. On leur donne aussi le nom de Litanies. L'origine des ces Processions date du cinquième siècle. Dans la partie des Gaules qui ensuite a porté le nom de Dauphiné, divers fléaux jetèrent les peuples dans la consternation. C'étaient des tremblements de terre, des bêtes féroces qui, non seulement ravageaient les campagnes, mais qui entraient dans la ville même de Vienne, y poussant d'affreux rugissements. Saint-Mamert touché de ces malheurs inouïs, exhorta son peuple à recourir à dieu et institua, à cet effet, une Procession solennelle qui devait se faire chacun des trois jours qui précèdent l'Ascension de Notre seigneur. Les fléaux cessèrent, et cependant chaque année vit réapparaître la même solennité.
Mais cette pieuse coutume se bornait au diocèse de Vienne: le Concile d'Orléans, en 511, ordonna que dans toute la France les mêmes Litanies ou Rogations eussent lieu. Plus tard, elles furent accueillies en Espagne, mais on les fixa aux trois derniers jours de la semaine de la Pentecôte. Sous le pape Léon III, à la fin du huitième siècle, Rome les adopta. On leur donna alors le nom de Litanies mineures, pour les distinguer des Litanies majeures du 25 avril, jour de saint Marc. En France, les premières sont nommées, au contraire, majeures. Saint Sidoine appelle les Rogations : les fêtes des têtes humiliées, et les stations : les prosternements du peuple.
Ces trois jours étaient chômés, dans je principe, mais bientôt on se borna à enjoindre l'assistance à la Procession et a la Messe de station. Enfin comme il s'agissait, par ces prières publiques, de fléchir la colère de Dieu, ces trois jours emportèrent l'obligation de jeûner, laquelle fut abolie à cause du temps pascal qui n'admet point de jeûne. L'abstinence de viande , qui encore aujourd'hui est observée, resta seule. En France, ces Processions se faisaient fort loin, et cette coutumes s'est maintenue dans quelques diocèses, où elles ont un terme considérablement éloigné de l'église qui est le point du départ. Dans ces prières on demande à Dieu sa Bénédiction sur les fruits de la terre, et la Messe de station a une Collecte, etc. pour cet objet.
Le Rit de ces Processions varie beaucoup en France, dans les différents diocèses. Mais dans le Rit romain, qui est suivi par la plus grande partie de l'Occident catholique , on y chante les Litanies des saints, suivies du Psaume soixante-neuvième, et des prières pour les vivants et les morts, avec plusieurs Oraisons par lesquelles la cérémonie se termine.
La Messe de la station est du Rit férial.

 II.

 VARIÉTÉS.

Durand,dans son Rational, parle d'une coutume qui existait de son temps aux Processions des Rogations. On portait en tôle un énorme serpent ou dragon de carton ou de bois peint. La queue de cet animal était dressée pendant les deux premiers jours, mais le dernier jour, veille de l'Ascension, ce serpent symbolique était porté derrière la Procession, la queue baissée. C'était pour signifier que le diable , avant la promulgation de l'Évangile, sous la loi de nature, et celle de Moïse désignée par les deux premiers jours, exerçait un empire désastreux sur la terre, mais que sous la loi de grâce dont le troisième jour est la figure, l'antique serpent avait été vaincu. Pour apprécier ce symbolisme, il faut se reporter au génie de l'époque, et ne pas juger le treizième siècle d'après le dix-neuvième.
Jusqu'en 1760, on a porté, à la Procession des Rogations de la paroisse saint Quiriaco de Provins, un serpent au haut d'un bâton. Cet usage fut aboli à cause d'un feu d'artifice, qu'on s'était avisé de placer dans la gueule de ce dragon, et qui avait causé quelques dommages.
Il se fait tous les ans à Tarascon, diocèse d'Aix, en Provence, une Procession où l'on porte un énorme dragon de bois peint qu'on appelle la Tarasque. On met aussi quelquefois des fusées et des pétards qui s'élancent de ses yeux et de ses narines. Ne serait-ce point un reste de l'usage du treizième siècle, dont nous avons parlé ? Il est vrai qu'on donne à la Tarasque une autre origine.
Dans le douzième siècle, Henri V, empereur d'Allemagne, fut reçu par le pape à une Procession où l'on portait aussi des aigles, des lions, des loups et surtout des dragons monstrueux en carton peint. Du reste en ce temps-là, immédiatement après la croix, venait dans toutes les cérémonies un serpent emmanché d'un long bâton, comme figure du démon vaincu par le signe de notre rédemption.
A Rouen, selon Lebrun des Marelles, à la suite de la Procession des Rogations, on portait encore, au commencement du dix-huitième siècle, deux grands dragons que le peuple appelait gargouilles. A Paris, à Laon, etc., il en était de même. Nous pensons qu'aujourd'hui, en France, il ne reste plus aucun vestige de cette ancienne coutume qui avait bien son mérite dans ces anciens temps où il fallait parler au peuple par des spectacles religieux.
L'Église Orientale n'a jamais fait de Processions ni d'Office des Rogations.
Le comte de Maistre cite, dans ses Soirées de Saint-Pétersbourg, une prière usitée chez les anciens Romains et que l'on trouve dans Caton : Mars, pater, te precor, quoesoque uti tu morbos invisos visosque, viduertatem, vastiludinem, calamitalem, intemperiasque prohibessis; uti tu fruges, frumenta, vineta, virgultaque grandire, beneque evenire sinas, pastores, pascuaque salva servassis. « O Mars, notre père, je te prie et te conjure d'éloigner de nous les maladies intérieures et extérieures, l'indigence, la dévastation, les calamités, l'intempérie des saisons; fais que nos biens terrestres, nos blés, nos vignes, nos vergers répondent à l'attente du cultivateur; prends sous ta protection nos pasteurs et nos pâturages. »
Lebrun, que nous venons de citer, en parlant, dans ses Voyages liturgiques, des Rogations, telles qu'on les célèbre à Angers, signale une singularité qui a lieu le mardi de ces trois jours. Le peuple appelle cette Procession la haye percée, et en voici la raison. Le clergé de Saint-Maurice entre dans beaucoup d'églises qu'il ne fait que traverser en y chantant seulement un Suffrage pour en invoquer le patron. On prétend que c'est pour mettre en acte symbolique ce passage: Non habemus hic manentem civilatem. «, Nous n'avons point jci-bas une demeure permanente. » On dit la Messe de la Station dans la dernière de ces églises, et il n'y en a point d'autres dans les églises ou chapitres qui se trouvent à cette Procession. Nous ne savons si cette coutume s'est conservée à Angers.